Normandy Channel Race 2023, nous voilà. Après deux années successives en double avec Frédéric Denis (une victoire en 2021 et une quatrième place en 2022), j'ai la chance cette année d'avoir Nicolas Troussel, skipper de l'Imoca Corum, à mes côtés. Très vite, on décide qu'il sera majoritairement en gestion de la partie stratégie, d'abord parce que c'est ce qu'il aime par dessus tout, mais aussi parce que je suis intéressé aussi d'avoir sa vision des choses. C'est peu dire que le tout a été instructif... Je vous raconte ? 

 

Après la remontée du canal, nous passons enfin l'écluse de Ouistreham. Comme chaque année, il y a de la tension, car le niveau de compétition est toujours redoutable -cette année encore plus avec 32 équipages engagés,dont le gratin de la Class40. La ligne de départ nous semble un peu favorable côté gauche de la bouée, on se décide donc pour cette option. On prend un bon départ – comprendre, un départ pas anticipé (oui, à un moment il y aura prescription, mais cette heure n’est pas encore venue) – mais ça reste quand même un peu prudent car nous sommes nombreux, et que les conditions de mer sont assez intenses avec un clapot très court. Je dirais donc qu’on est dans le premier tiers, et c’est un choix assumé – on ne fait pas les chiens fous !

Le premier bord vers les îles de Saint-Marcouf se fait sous gennaker – petit pour notre part. Ce début de course montre encore une fois la richesse de la Class40, chaque bateau, en fonction de son design, fait des choix de voile différents, a des comportements différents. C'est un vrai bonheur en tant que régatier de voir qu’il y a un vrai match permanent entre nous, et que le niveau attendu est bien là !

On arrive 3e à la bouée de Saint-Marcouf, qui marque le début de la traversée de la Manche. Là, c’est donc tout droit, à la nuance près qu’il y a quand même un courant de gueux qui nous fait bien dévier de notre trajectoire, donc il faut constamment s’y adapter pour rester rapides et sur le bon cap ! C’est un bord assez favorable aux bateaux Lombard, les Lift, grâce à la forme de leur coque, et on les voit donc revenir à notre hauteur sur cette portion.

A l’entrée du Solent, on attaque le tour de l’île de Wight sous le soleil, au portant, sous spi, et dans le paquet de tête ! Cherchez bonheur dans le dictionnaire, vous aurez pas d’autres définitions. On a d’abord le courant contre nous, puis avec nous. Le jeu consiste donc à d’abord aller tirer d'bord des bords au plus près de la côte pour s’en mettre à l’abri, puis au contraire ensuite bien au centre du canal, pour profiter pleinement du tapis volant…

A la sortie du canal des Needles, on choisit ensuite de se décaler assez vite dans le Sud pour trouver du vent un peu plus fort et un peu plus de pression. Ca marche plutôt pas trop mal, même si SNEF, qui repart vers la côte avant nous, récupère une renverse de courant avant nous et fait un petit trou intelligent à ce moment-là – même si on l’a toujours à portée visuelle. C’est vraiment une régate qui se joue à la jumelle !

On arrive au Sud-Ouest de la Cornouailles aux avant-postes, mais pas en tête donc. Mais pour le coup, ça nous arrange plutôt ! Land’s End - le bien nommé - marque en effet une zone de transition sans vent, et dans ces conditions aléatoires, les bateaux devant nous servent de repères ! Xavier Macaire s’arrête d’abord à la côte, puis Crédit Mutuel, puis Pirelli. On ralentit aussi doucement, mais on se redécale dans l’Ouest pour éviter de singer nos petits camarades devant, ou du moins retarder le moment où on s'arrêtera comme eux. 

On s’en sort pas mal dans cette option, jusqu’à ce qu’on s’englue à notre tour. Regroupement général pour deux marées, on pourrait quasiment taper la belote tellement tout le monde est dans le bourg !

Photo prise par nos voisins de la Manche, Evidence Nautique

Le vent est énormément sujet au courant, donc il y a un bord qui est bien plus favorable que l’autre. Petite pensée pour ce long babord vers l’Ouest qui nous a semblé interminable, alors qu’il nous a fait avancer probablement de moins de deux milles (mais si on avait virer, on faisait du Sud-Est donc demi-tour…) Dans cette phase, on réussit quand même à mieux glisser que certains et à faire un petit décalage dans le Nord. Quand le vent revient, c’est du Nord-Nord Est, donc on est parmi les premiers à redémarrer pour prendre la direction de Tuskar - mais Pirelli, encore plus décalé, en profite encore davantage. 

A nouveau, nous ne sommes pas les rois de la piste en termes de vitesse pure avec notre bateau sur cette allure vers le Nord, mais on se défend quand même. On arrive donc là-haut en troisième position !

La flotte se divise alors en deux : une option à la côte, une option au large. On fait partie du second groupe. 

A ce moment-là, il faut imaginer que les fichiers ne donnent pas d’avantage nettement établi à l’une ou l’autre option, donc ça reste - comme souvent - un pari. Le nôtre, c’est de compter sur la pression un peu plus forte et surtout plus stable annoncée au large, tandis que le groupe des pêcheurs côtiers mise pour sa part sur la protection du courant d’abord, et l’établissement d’un vent thermique à la côte, puisqu’il fait beau et que nous sommes pile dans le timing où il peut se créer de manière intéressante.

Notre option s’avère moins payante qu’espéré. Même si au Fastnet on recroise dans le paquet des dix premiers, on a perdu quelques plumes. Si on gagnait tous nos paris, la vie serait plus simple !

On entame ensuite la longue remontée au près vers Caen, puisqu’on ne mettra plus de voile sur le bout-dehors après le passage du phare… Ceux qui ont déjà fait du près sur nos petits jouets savent bien que ça signifie que le temps de la récré est terminé, et que là il va falloir payer notre belle descente avec un remonte-pente rock’n’roll ! 

e premier bord vers les Scilly, on choisit de faire un grand tout droit, et ne pas opter pour les décalages possibles au Nord – ça faisait éloigner de l’objectif, avec une prise de risque pas forcément payante, on est donc restés prudents. Au final, il y avait du gain à le faire malheureusement, puisque ça a réussit à nos petits camarades qui l'ont tenté. 

Ensuite, il a fallu remonter la Manche dans du vent d’Est-Nord Est assez soutenu, avec une mer intense, puisque quand la marée monte avec le courant face au vent, ça lève une houle assez impressionnante et pas franchement agréable. On tire alors des bords dans la baie de Penzance, quand au milieu de nuit on entend de gros craquements dans le bateau. L’évacuation d’air et d’eau du ballast tribord s’est bouchée avec un bout de mousse qui s’est décollé, et le réservoir monte en surpression, jusqu’à ce que la cloison fissure. Ca rend inutilisable cette bonne arme au près, et c’est surtout une belle petite frayeur et un peu d’humidité à gérer dans le bateau (même si on parvient à limiter les dégâts en actionnant très vite la commande pour le vider). Ca nous rendra malheureusement moins rapide que nos petits camarades en tribord amure, quand le vent vient de la droite.

Après le cap Lizard, nos prédécesseurs choisissent de retourner dans la baie. Ce qui est souvent compliqué à expliquer tactiquement en voile, c'est qu'entre concurrents, on n'a jamais les mêmes conditions, même si la carto nous place parfois très proches. A l’heure où nous on arrive, le timing de marée n’est pas exactement le même, donc notre interprétation diffère. On lance donc la traversée de la Manche directement, et on est suivis par quelques bateaux derrière. C’est une option plutôt payante, d’autant qu’on économise du temps de manœuvre.

Quand on arrive près de la côte française, on recroise donc troisième.Une place qui s’explique aussi par la casse sur d’autres bateaux qui avaient été animateurs de la course et auraient sûrement été à nos côtés dans ce moment-là... petite pensée pour Café Joyeux et SNEF évidemment, qui auraient mérité de pouvoir défendre leur chance jusqu’au bout !

Arrive alors l’enchaînement avant le raz Blanchard, qu’on va atteindre sous des rafales de 25 à 30 nœuds, avec un coefficient de marée certes un peu assagi, mais qui génère encore 6 à 8 nœuds de courant. C’est donc assez chaotique, on atteint par moment des vitesses sur le fond de 15 nœuds alors qu’on est au près (comptez entre 7 et 10 nœuds maximum normalement). C’est toujours aussi fou comme sensations, et il faut bien rester concentrés et mobiliser toute l’énergie restante pour tirer les bons bords !

En direction Barfleur, on a un virement un peu loupé car une de nos manivelles casse, et je tombe de tout mon poids en me raccrochant à la filière. C’est un peu scabreux, mais on ressort toujours troisième, bord à bord avec Legallais. Malheureusement, sur la dernière ligne droite, nous sommes mois à l’aise qu’eux en vitesse pure, et ils vont donc réussir à créer un petit décalage à notre vent, et de nous écraser joliment… On finit donc quatrième, à onze minutes derrière eux.

Encore une fois, le chocolat on aime ça, mais celui-là a toujours un petit arrière-goût frustrant. Malgré tout, on est quand même contents de cette course. Déjà parce qu’entre Nico et moi ça s’est super bien passé, et ça c’est primordial ! Ensuite, parce qu’on a le sentiment d’avoir rendu une copie propre et équilibrée (oui, c’est un peu notre bac la NCR) : prudents par moments, attaquants à d’autres. Tout n’a pas été récompensé, mais on a tenté quelques trucs pas trop mal, et surtout on a fait ce qui nous semblait juste.

On coupe la ligne plus que jamais renforcés dans l’idée que cette course et ce parcours sont géniaux, et qu’on s’amuse toujours autant à la jouer. Après notre victoire en 2021, c’est la seconde fois consécutive qu’on finit quatrième, mais je trouve que cette quatrième place là est plus satisfaisante que celle de l’an passé, tout simplement parce que le niveau des concurrents était bien plus relevé ! Hâte de voir ce qui nous attend pour l’année prochaine, mais j’espère bien être encore de la fête…

Un grand merci à Nico et son sponsor Corum l’Epargne de nous avoir permis d’aller faire cette petite balade irlandaise, et un immense merci évidemment à mes partenaires toujours aussi présents à mes côtés que derrière la carto !

 

 

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