Epreuve incontournable du circuit, le Mini Fastnet a deux particularités : c'est la course la plus longue de l'année (hors transat bien entendu) et elle se court en double. Le parcours est particulièrement attirant, un aller-retour jusqu'au phare du Fastnet à la pointe sud-ouest de l'Irlande depuis Douarnenez, alternance de grands bords au large en mer d'Irlande et de navigations côtières en mer d'Iroise et en Cornouaille anglaise, plans d'eau magnifiques et sportivement très techniques (présence d'un fort courant et de jolis cailloux).
Le mythique phare du Fastnet
J'ai pour l'occasion choisi d'embarquer Julien Bourgeois pour me seconder, jeune trinitain plein de talent et de motivation avec qui nous avons déjà eu l'occasion de naviguer en entrainements et convoyages au contact de bons bateaux. Le départ du dimanche 14 juin est précédé la veille d'un prologue, course spectacle en baie de Douarnenez. Nous bouclons cette navigation sans enjeu à la troisième place mais la satisfaction du résultat est particulièrement gachée par une triste nouvelle : sérieusement blessé à la cheville, il ne semble pas raisonnable pour Julien de partir naviguer jusqu'en Irlande pendant plusieurs jours à un rythme effréné.
Tandis que Julien se fait examiner, j'entame un marathon téléphonique d'une heure et demie pour lui trouver un remplaçant. Après plus d'une quarantaine de coups de téléphone - la palme de la meilleure réponse étant attribuée à "j'aurais adoré mais ma femme a accouché il y a vingt-quatre heures" - c'est sur les coups de 19h30, à une vingtaine d'heures du départ, qu'Erwan Le Mené me confirme sa disponibilité et son envie de venir faire un tour en Irlande. Erwan a intégré le pôle compétition de la Trinité sur Mer avec son Argo, mini de série dont il est co-propriétaire. On s'est croisés à plusieurs reprises sur les pontons mais n'avons jamais navigué tous les deux, c'est l'occasion pour nous de faire connaissance, mais aussi pour Erwan de découvrir la navigation en prototype !
Crédit Photo : Christophe Breschi
Le départ est donné en milieu d'après-midi au fond de la baie de Douarnenez. Nous sortons sur l'eau sans trainer afin de prendre nos marques sur le bateau. Le vent de secteur ouest nord ouest nous offre une sortie de baie au louvoyage, il va nous falloir tirer des bords sur le début de parcours. Nous remarquons avant le départ que le plan d'eau est particulièrement cisaillé et choississons la droite du plan d'eau qui paraît plus ventilé, et où le vent est nettement plus à droite. Nombre de nos adversaires sont plus à gauche, à la côte, et nous manquons certainement un peu de clairvoyance en n'allant pas au bout de notre option : les voiles rouges du 788 de Michele Zambelli, qui est allé encore plus à droite que nous, pointent en tête à basse vieille, première marque de parcours au sud du cap de la chèvre.
Nous sommes tout de même dans le bon paquet quand la fixation du point de tire du foc se rompt. Nous bricolons rapidement une solution d'urgence nous permettant de prolonger le bord jusqu'à la bouée. Une fois dégagés de la presqu'ile de Crozon nous changeons de bord ce qui me permet de mettre en place une réparation plus fiable et surtout nous permettant de naviguer de nouveau bien réglés, au maximum de potentiel de vitesse du bateau. Après quelques virements de bord qui nous permettent d'optimiser le système en réglant les différents bouts maintenant en place le point de tire de fortune, nous abordons le chenal du Four en accusant un peu de retard sur le paquet de tête mais rien de dramatique. C'est la première casse en course et, même si elle est bénigne, nous n'avons pas pu naviguer comme nous l'aurions voulu pendant quelques précieuses minutes. Nous sommes néanmoins contents de la réactivité avec laquelle nous avons su régler le problème et sommes remontés à bloc pour la suite !
En contournant le phare de la pointe Saint Mathieu, nous butons dans le courant de marée descendante. Les premiers arrivés étant les premiers ralentis, la flotte se resserre de façon impressionnante et nous assistons à un nouveau départ. Le tableau est magique : la lumière du soleil décline doucement, nous enchainons les virements de bord au raz des cailloux pour avoir le moins de courant possible contre nous, la côte est splendide... Mais il ne faut pas trop se laisser aller à la contemplation : quelques concurrents devant nous s'arrêtent nets dans les cailloux, l'un d'eux casse au passage sa dérive, cela nous incite à rester conservateurs en se contentant de taquiner les cailloux autant que les copains mais pas beaucoup plus...
Alors qu'il fait désormais nuit noire, l'enjeu est de choisir le bon moment pour se lancer dans la traversée de la Manche en direction du phare de Wolf Rock, au large de la pointe sud-ouest de la Cornouaille anglaise. Nous souhaitons rester en phase avec le courant qui renverse et nous placer à droite (dans l'est) de nos adversaires pour bénéficier plus tôt et avec un meilleur angle de la rotation annoncée du vent à droite. En approche de Portsall, nous ratons une des dernières opportunités de nous recaler dans l'est sans marquer le désavantage sur nos adversaires et nous retrouvons plutôt à gauche de la flotte. A bord, nous nous efforcons de faire marcher le bateau au mieux avec le vent que nous touchons.
Crédit Photo : Christophe Breschi
A l'aube du deuxième jour de course, les écarts en longitude sont conséquents et le vent tarde à tourner à droite. Nous nous attendons à avoir du vent faible et positivons en nous disant qu'avec un vent aussi erratique il sera probablement plus facile pour nous à l'ouest de chercher à lofer vers le phare que pour les orientaux de chercher à glisser dans le vent. A la condition bien sûr que l'ensemble de la flotte touche la rotation à droite plus ou moins en même temps... Le regroupement de la flotte intervient peu après le phare et le bilan reste assez neutre en terme de classement, nous sommes un peu soulagés d'avoir le groupe de tête à portée. Avec le recul et après avoir refait la course avec les autres concurrents en regardant nos traces sur la cartographie, il apparaît clairement que les bateaux placés le plus à l'est ont touchés le nouveau vent bien plus tôt que nous. En arrivant à Lands End, le vent aux abonnés absents et le courant contraire provoquent un nouveau regroupement de la flotte, ce qui fait nos affaires et permet de limiter notre retard sur nos concurrents.
Nous passerons une nuit bien paisible à remonter tranquillement le long de la Cornouaille anglaise. En l'absence de vent, le jeu consiste à être le plus observateur possible pour essayer de placer le bateau dans un maximum de risées, la moindre différence de pression permettant au bateau de démarrer ou au contraire de s'arrêter net. La nuit, les observations se compliquent et c'est avec les feux de navigation de nos concurrents que nous prenons des repères. Il y a une certaine part de loterie dans ces situations mais l'ensemble du paquet de tête de la flotte touchera du vent sensiblement en même temps avec l'arrivée du soleil. Nous sommes septièmes avant d'attaquer un long bord vers la pointe sud ouest de l'Irlande. Le vent nous permet de faire route directe, nous nous appliquons à tendre notre trajectoire le plus possible vers l'objectif pour éviter de parcourir des milles superflus, tout en restant vigilants sur les réglages du bateau. Nous sommes particulièrement à l'aise en vitesse et revenons fort sur nos prédécesseurs, à l'aube du troisième jour de course nous enroulons la bouée de l'île de Stags en troisième position, précédents d'une courte tête le 802 et le 630.
Revivez la course du 716 !
Un brouillard épais couvre l'intégralité du plan d'eau et nous distinguons à peine les côtes irlandaises et le phare du Fastnet. Le contourner sonne comme la délivrance : en plus de prendre le chemin du retour, l'angle au vent nous permet d'envoyer le code 5, sorte de petit spi assez plat que l'on porte quand le vent est fort et/ou l'angle un peu serré. Ces deux conditions sont réunies et c'est à haute vitesse que nous déboulons en mer d'Irlande. 14, 15, 16nds, le bateau vole est c'est un régal à la barre. La visibilité n'excède pas les 200m dans les éclaircies et après une journée de folle cavalcade nous continuons l'exercice dans le noir le plus complet. On ne distingue pas une étoile ni même les vagues, encore moins les feux des cargos qui croisent notre route, pourtant parfois très proches. La houle est longue et nous arrive par le trois quarts arrière, les conditions idéales pour dévaler les pentes pendant de longues minutes sans risquer l'arrêt buffet dans la vague de devant. Les sensations ont un côté irréel, nous nous attendons à finir dans les abymes à force de descendre sans arrêt comme ça !
Nous avons accepté de nous écarter un peu de la route directe au début du bord pour être très rapides, tout en nous efforcant de tendre la trajectoire au maximum. La recette n'est pas mauvaise et nous revenons fort sur le 800 qui n'a pas quitté les premières places du classement depuis le chenal du four. Nous arrivons en approche du dispositif de séparation du trafic pour les cargos au large d'Ouessant en le précédent d'une courte tête en nous demandant ou peut être bien passé le 865 qui a enroulé le phare du Fastnet en tête. Les cornes de brume résonnent autour de nous et nous gérons les croisement avec les cargos quand le 800 change de spi et repasse à l'attaque, bien décidé à ne pas se laisser faire. Nous l'imitons dans la foulée mais n'arrivons pas à revenir sur lui, tout au mieux nous conservons l'écart. Le vent mollit en approche de la côte et nous avons plusieurs empannages à effectuer pour faire route vers l'arrivée. Nous tentons une dernière attaque en empannant plus tôt que lui à proximité de la chaussée de Sein, le choix semble judicieux puisque nous parcourons moins de route, cependant nos concurrents bénéficient d'un meilleur angle au vent qui les rend plus rapides, il conserveront leur avantage jusqu'à la ligne d'arrivée que nous coupons donc en troisième position, moins de vingt minutes après eux.
Crédit Photo : Simon Jourdan
Le bilan de ce Mini Fastnet est très positif. En complément de cette belle performance sportive, qui saura je l'espère ne pas laisser insensible de futurs partenaires, l'expérience était vraiment très enrichissante. Humainement, la rencontre avec Erwan fût aussi riche qu'imprévue, ça a été un réel plaisir de se partager le travail pour faire avancer au mieux le bateau tout en faisant connaissance dans la bonne humeur. En terme de navigation pure, nous n'avions pas un placement idéal sur la traversée de la Manche. Ce qui est rassurant c'est que l'analyse faite en amont était la bonne, il faut maintenant que j'aille au bout de mes idées en appliquant le schéma défini avant le départ.
Techniquement, nous avons su gérer rapidement notre petit problème en début de course, ce qui ne nous a pas pénalisé pour la suite. Même bénin, cet incident est là pour me rappeler l'importance de la préparation de l'ensemble du matériel, notamment en vue de la Mini Transat. Le bateau est vraiment très fiable et pour que cela dure il faut continuer sans relâche à anticiper d'éventuelles ruptures d'usure en remplacant certains éléments clés de manière préventive.
Le prochain objectif est la Transgascogne qui partira fin juillet. Quelques semaines sans régate que je compte bien mettre à profit pour mener un autre type de bataille, la course aux partenaires. Il est désormais urgent pour moi de fédérer des sponsors autour de ce projet pour préparer la Mini Transat avec les moyens nécessaires à l'accomplissement d'une grande et belle Aventure humaine et sportive.
Crédit Photo : Stéphane Siohan
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