Suite à mon avarie de spi, François aura des mots particulièrement forts et sympas à mon égard. C’est un crève-cœur de le voir s'éloigner tant le personnage est attachant et que nos duels sur l'eau sont grisants à vivre. Je décide vite de me mettre en action pour ne pas ruminer ma peine. J’étale la zone déchirée du spi tant bien que mal dans le bateau pour que le tissu sèche un minimum avant d’entreprendre quoi que ce soit. Sous grand gennaker, le bateau va toujours à une vitesse correcte. Malheureusement cela me contraint à naviguer haut et m’empêche de glisser dans l’axe du vent. Heure après heure, je concède de précieux milles à mes concurrents…

Après quelques heures, je commence à finir d’assécher le tissu avec des chiffons imbibés d’acétone. Ce n’est pas parfait mais je peux envisager de commencer à coller du tissu pour rabouter les zones déchirées. Est-ce la déception, les vapeurs où un mélange des deux ? Je finis par être à moitié nauséeux et retourne prendre l’air une bonne heure à la barre. Quelle frustration de naviguer avec une voile trop petite par rapport à la force du vent ! J’attaque la réparation par le collage de petites bandes de scotch à spi (tissu autocollant) tous les 20 centimètres. La déchirure faisant pratiquement 2 mètres de long, il faut commencer par redonner un minimum de tenue à l’ensemble. Le bateau continue de rebondir dans les vagues et coller proprement un scotch sans faire de pli est un défi. L''épreuve de patience se complique encore davantage lors de la phase suivante, lorsque je viens coller une bande de scotch d’une quinzaine de centimètre de large tout le long de la déchirure, sur chacune des faces du spi (pensez à moi quand vous emballerez vos cadeaux de Noël !)

Quand tu dis adieu à tes chances de victoire sur la Mini, tu te sens un peu sous l'eau... Crédit : Christophe Breschi

Cette phase me prend un certain temps, d’autant qu’il faut continuer de faire marcher le bateau, adapter la trajectoire et le réglage des voiles, mais aussi se nourrir et dormir… Or le spi In’tech medical est déchiré dans une zone sollicitée structurellement. Compter sur une réparation uniquement à l’aide de scotch, même appliqué sur les deux faces, paraît illusoire. Je n’ai pas d’autre choix que de me lancer dans une mission couture, je sors le fil et l’aiguille et c’est parti pour des heures de points à la main !

Benjamin Ferré aka « Mr Pépin », jusqu’alors deuxième bateau de série, revient à portée VHF, puis à ma hauteur, et finit par partir par devant. Sa présence m’aidera à ne pas me déconcentrer de l’objectif « réparation rapide ». Il prendra plusieurs fois des nouvelles de mes travaux au cours de ces heures à portée d’échanges radio… Au lever du jour mardi 5 novembre, les échanges deviennent compliqués, il commence à être trop loin devant. J’ai dû coudre environ la moitié de la principale zone déchirée, j’ai encore quelques heures de travaux manuels devant moi... Calé comme je peux dans le bateau, j’enchaîne les points, regrettant de ne pas avoir embarqué de paumelle pour me protéger la main en poussant l’aiguille et doutant sur la quantité de fil que j’ai à bord… Je vais y passer la journée, d’autant que pour éviter toute déconvenue je sécurise les coutures par la superposition d’une seconde bande de scotch à spi.

A 3 ou 4 heures du lever du jour mercredi, le spi est prêt à être renvoyé, ferlé dans son sac. Il y a encore du vent et la mer est toujours assez casse-bateau. Je choisis de manger et dormir un peu avant d’envoyer la voile fraîchement réparée avec les lueurs de l’aube. Après hésitation, je renvoie une première fois le spi arisé. Cela fait pratiquement 48h que ce spi aurait dû être à poste, j’ai accumulé 80 Nm de retard sur François Jambou qui mène la flotte… Quelques heures à la barre plus tard, j’affale et renvoie le spi en tête. Le bateau reprend une allure plus normale, fin de la grosse hémorragie au classement…

 

Quand ton spi max devient aussi précieux qu'une tortue albinos. Crédit : Christophe Breschi

A la tombée de la nuit, je croise Tanguy Bouroullec. Sur son bateau tout neuf, le 969, il était pointé en haut des classements sans que l’on sache réellement où il était sur le plan d’eau. Si je l’ai rattrapé aussi vite, c’est parce qu’il navigue plein vent arrière sans spi depuis une dizaine d’heures. Et pour cause : son système de rotation du bout dehors est hors-service depuis l’arrachement de sa cadène d’étai dans un planté le matin même… Le début de course est particulièrement intense et le matériel comme les organismes sont malmenés, chacun a son lot de galères. Sur mon bateau de nouveau au maximum de son potentiel, j’ai repris confiance et je soutiens Tanguy autant que je peux. Se retrouver seul face aux vagues et au vent est une expérience qui pousse à l’humilité. Dans ces moments durs, chaque mot des copains prend une force incroyable, sans commune mesure avec les échanges que l'on peut avoir à terre. Ensemble, on discute des solutions techniques. Le tout est de composer avec les moyens du bord, comme dans toute gestion de crise !

Cette rencontre avec Tanguy correspond à peu de choses près au moment où le vent a molli et surtout au moment où la mer s’est un peu rangée, jeudi 7 novembre. A la tombée de la nuit, je renvoie le grand spi Oslo. Je profite d’avoir le spi medium sous les yeux dans son sac pour vérifier l’état de la réparation après une grosse douzaine d’heures d’utilisation. Les petites déchirures et la partie basse de la grande déchirure se portent bien, cependant autour du point d’amure de ris les coutures ont commencées à déchirer le tissu en décollant en partie les scotchs… J’ai choisi de faire une première réparation qui me paraissait « blindée » dans la mesure où je savais que je n’aurais pas suffisamment de matière pour envisager de recommencer. Concrètement, j’ai même fait tapis : je n’ai plus de scotch à spi ni de fil à coudre…

Troisième MiniTransat, mais le même vertige d'adrénaline au moment de quitter les Canaries... Christophe Breschi

Pour l’instant, le bateau se comporte bien sous grand spi mais si le vent rentre à nouveau, je n’ai pas la moindre envie de me retrouver à nouveau lent sous gennak ! Tout au long de la
première réparation et de la journée de navigation avec le spi réparé en l’air, j’ai essayé d’imaginer comment je pourrais faire si un nouveau problème survenait. La seule solution que j’avais
identifiée est radicale, mais je me lance : je démonte le cagnard de course (banderole en bâche épaisse faisant figurer le nom du skipper, de son bateau, et les sponsors de la course, fixée
dans les filières). J’y découpe deux grandes pièces qui serviront de renfort autour de la zone qui se déchire à nouveau. Après un nouvel atelier séchage à l’acétone, je me lance dans le collage
des cagnards au sika
(aka l’essentiel en mer : un mastic polyuréthane étanchéification et collage). Il fait chaud et humide, la sika colle assez vite et 3 à 4 heures après avoir affalé, je suis prêt à
renvoyer le spi medium si besoin. Efficace !

Bien m’en a pris car en fin de nuit, quelques nuages commencent à ressembler aux grains typiques de l’alizé - gros bourgeons commençant tous à la même altitude et inclinés vers le nord-ouest par le contre-alizé en altitude… Plus ou moins sombres (plus ou moins chargés en eau), leur passage impacte directement la force et l’orientation du vent. Prudent, je choisis de gérer ces premiers grains en réduisant la surface de voile par anticipation. Avec un medium réparé comme je peux et plus grand-chose pour entreprendre des réparations, ça serait particulièrement bête de prendre le risque de perdre l’usage du grand spi. En début de journée les nuages se reconstruisent (l’eau s’évapore avec le soleil qui chauffe pour former de nouveaux nuages), le vent est moins fort et je renvoie le grand spi.

Je ne le sais pas encore mais je ne l’affalerai plus jusqu’à mon arrivée au sud de la Martinique, cinq jours plus tard… Nous sommes en course depuis six jours, il reste la moitié d’un océan à traverser et j’ai 100Nm de retard sur le leader…

R.I.E.N. . L.A.C.H.E.R.

  

Christophe Breschi

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