Après une semaine de course, une nouvelle routine s’installe. La mer s’est bien rangée et nous naviguons dans 17 à 20 noeuds de vent moyen. Quelques molles à 11 ou 12 noeuds de vent derrière certains nuages nous font ralentir par moments, puis nous accélérons à nouveau dans les surventes en avant des grains. Ces derniers ont tendance à se vider en fin d’après-midi et en fin de nuit. Au plus fort, je prendrai une petite trentaine de nœuds devant ces nuages. Mieux vaut alors être à la barre et prêt à réagir ! J’essaie de profiter de chacun d’entre eux pour glisser le plus possible vers l’arrivée sans trop affaler mes voiles… Par moment j’arrive à glisser à plus de 15 noeuds à plus de 160° du vent (seulement 20° du plein vent arrière), j’essaie de m’appliquer à tendre la trajectoire et aller vite.

D’un point de vue plus global, j’ai eu une trajectoire au sud de la route directe sur quasiment l’ensemble du parcours, cherchant à éviter la zone orageuse se transformant en une sorte d’onde d’est stationnaire (une perturbation météorologique typique des alizés qui provoque une grosse zone sans vent dans son sud). Cependant, sur la fin de parcours, une nouvelle ondulation des isobares se crée dans le sud de la route directe. Il apparaît intéressant d’y aller pour bénéficier d’une belle rotation du vent à gauche, mais le risque de se coller dans du vent plus faible est réel… A bord, nous disposons d’un unique classement par jour, nous ne connaissons pas la position de nos adversaires mais seulement leur distance au but. Lors de ces 4 jours à fond du potentiel du bateau sous grand spi, je ne peux que constater que je fais jeu égal avec le leader, mais je ne parviens pas non plus à reprendre du terrain sur lui…

En toute objectivité, ce bateau est superbe... non ? Crédit photo : Christophe Breschi

J’ai doublé Mr Pépin sans croiser sa route, au contraire d’Ambrogio dont j’apercevrai le feu de tête de mât ainsi que le signal AIS quelques milles derrière moi dans la nuit du 11 au 12. Après quelques tentatives infructueuses, je n’arriverai pas à le joindre à la VHF (outil toujours relativement capricieux et imprévisible), ce qui me fera passer les cinq derniers jours de course sans discussion avec d’autres personnes. Cette nuit où nous nous sommes croisés était assez dingue, un grain orageux particulièrement grand nous passant dessus, avec un vent plus de 40° à droite de sa direction moyenne de la journée et des rafales à un petit trente nœuds associées qui m’ont vu faire un joli départ à l’abattée m’obligeant à affaler quelques instants le grand spi envoyé en tête de mât quelques jours plus tôt et ré-hissé dans la foulée pour m’emmener jusqu’au Marin.

Cette deuxième partie de navigation dans des conditions de mer idéales a donné lieu à des moments de plaisir intense : les sentiments et les sensations qui envahissent alors mon corps un peu usé par cette première semaine de mer sont quasiment indescriptibles. Une plénitude intense s’installe à bord quand, dans 22 nœuds d’un vent chaud et léger, le bateau part dans d’interminables glissades, par moment calé parfaitement dans la pente de cette houle à la longueur d’onde idéale, par moment en appui sur la quille qui fait voler le bateau de crêtes en crêtes… La pleine lune, témoin exclusif de ces moments privilégiés, empêche la contemplation des étoiles filantes qui ont accompagnées les nuits du début de course mais permet de voir le plan d’eau et de barrer efficacement la nuit sans se faire surprendre par des nuages que l’obscurité totale nous aurait dissimulé.

C’est la troisième fois que je fais ce parcours en Mini, jamais je n’avais rencontré aussi longtemps des conditions propices à l’exploitation du potentiel de ces bateaux extraordinaires. Ce que j’aime c’est régler, trouver les équilibres pour atteindre ce point si spécifique où le bateau parle, te dit qu’il est content et avale les milles sans discontinuer comme s’il souriait, comme s’il te disait merci. J’ai été servi.

 

  

Jamais je n'avais ressenti une telle sensation de glisse parfaite depuis que j'ai commencé à naviguer... Christophe Breschi

Face à l’incertitude liée à la création d’une petite onde d’est se transformant en cellule dépressionnaire dans le sud de la route directe au moment de notre arrivée, je choisis de limiter la prise de risque. Les éléments dont on dispose pour faire de la stratégie à bord sont limités à un bulletin par jour où, en 30 à 45mn, Denis et Annabelle (notre très chère direction de course) font un point sur la situation générale et donne une prévision par zone d’environ 700km par 500km, en français puis en anglais, classement de la course avec énumération de 80 participants compris… Autant dire que nous ne croulons pas sous les détails des informations reçues !

Mes estimations me laissent à penser que j’arriverai avant que le phénomène ne barre la route mais j’opte pour une route plus nord pour anticiper un éventuel déplacement anticipé de la zone de molle. Le vent devant tourner à gauche d’ici l’arrivée, je choisis de jouer la pression plus que la rotation du vent. En avance sur moi mais également sur la création du phénomène, François peut se permettre de jouer la rotation du vent. Ce dernier a déjà un peu molli sur l’ensemble du plan d’eau pour une quinzaine de nœuds, et en comparant tranquillement à terre les trajectoires et les vitesses, François ne semble pas avoir ralenti dans le sud. Mon plus proche poursuivant, Ambrogio, en tête du classement série et 3e au scratch après une course remarquable, suit une trajectoire similaire à la mienne. Y’aurait-il eu du gain à prendre la bascule dans le bon sens, est-ce que je serai passé avant la molle ? Dur à trancher avec les éléments dont nous disposons sur l’eau.

Quoiqu’il arrive, ça n’aurait pas eu d’impact sur le classement de l’étape ni sur celui du général tant l’avance que François a su conserver était rédhibitoire si proche du but. Le dernier classement reçu avant mon arrivée l’indiquait à 7Nm de l’arrivée quand j’étais toujours 100Nm derrière… N’ayant aucun signe avant-coureur de la possibilité d’un scénario aussi dingue que sur la première étape, c’est avant tout pour minimiser l’écart, et surtout retrouver les miens et un peu de confort le plus vite possible que j’ai fait marcher au mieux le bateau jusqu’à la ligne d’arrivée, profitant des dernières glissades sous la lune, grisé par l’apparition des lumières de la côte est de la Martinique !

Je coupe la ligne d’arrivée en seconde position après 12j 15h 18mn de course, plus de douze heures après le vainqueur. Les maigres 6mn d’avance acquises sur la première étape font bien pâle figure, et je finis logiquement second de cette Mini-Transat 2019 ! Je tiens à féliciter le beau vainqueur qu’est François, derrière son humilité et sa discrétion se cache un homme portant avec convictions de belles valeurs, un marin aguerri mais aussi un redoutable régatier qui a su se mettre au niveau du fantastique bateau dont il disposait. Un « meilleur ennemi » au top sur toutes les courses d’avant-saison, un sparring-partner ouvert et motivé, un camarade, un ami.

  

Notre affection mutuelle est largement proportionnelle au niveau d'engagement mis sur l'eau pour se foutre sur la gueule ! Christophe Breschi

Qu'est ce que je retiens de ma troisième Mini Transat ?

Pour ma part, je ne boude pas mon plaisir de finir second de cette Mini-Transat 2019 au regard du chemin parcouru. Il y a moins de trois ans ce bateau magique qui m’a procuré tant de sensations et d’émotions n’était qu’un projet, une maquette numérique impalpable, des rouleaux de carbone et beaucoup de litres de transpiration en devenir. J’ai mis dans ce Mini toute l’énergie et toute l’envie que j’ai en moi, en essayant de m’appliquer à faire les choses jusqu’au bout, sans concession pour la performance. Tout cela, je l’ai fait grâce à l’expérience de mes deux précédents projets mais aussi avec celle acquise dans toutes les équipes ambitieuses pour lesquelles j’ai collaboré, et donc forcément avec conscience des réalités de notre pratique. La course au large parfaite n’existe pas, poursuivre une telle chimère est vain, le vainqueur est récompensé parce qu’il a fait moins d’erreur, pas parce qu’il n’en a pas fait.

    

Project Rescue Ocean en approche de la ligne.. toujours aussi émouvant ! Christophe Breschi

La réussite, qu’on pourrait aussi appeler le « facteur chance », occupe également une part importante dans le résultat final. J’aurais pu me blesser avant de partir ou même sur l’eau, taper un OFNI m’obligeant à abandonner le bateau ou rencontrer une avarie m’obligeant à interrompre la course en Espagne, au Portugal ou au Cap Vert. Je pense là évidemment à tous ceux qui ont connu ces moments durs, et je leur souhaite de revenir plus fort s’ils le souhaitent un jour.

Cette Mini-Transat 2019, sans l’aide de mes soutiens, humains, techniques comme financiers, je n’aurais pas pu en prendre le départ. Cette deuxième place nous appartient, à vous qui avez su rendre ça possible, qui m’avez soutenu, qui m’avez accompagné, qui m’avez conseillé ou même subi. J’espère vous avoir fait vibrer comme j’ai pu avoir l’occasion de le faire, et qu’au fond de vous aussi, vous avez un peu envie de lever les bras ! Un immense et sincère merci aux équipes de Project Rescue Ocean, Oslo, In'tech Medical, Westlake plastics, MPO et BCM, qui ont tous cru en moi et m'ont soutenu avec un enthousiasme dont je n'aurais jamais osé rêver voilà seulement quelques mois. 

Après quelques jours consacrés à accueillir la grande famille que sont les concurrents de la course mais également à remettre l’esprit à terre, je crève déjà d’envie de retourner régater, me battre pour gagner des millièmes de milles face à l’adversaire et face à moi-même, me battre pour gagner des courses… Et j'entends bien travailler d’arrache-pied pour cela dès aujourd’hui !

A très vite pour de nouvelles aventures !

    

Podium au scratch, podium proto... Fier de m'y trouver à côté de ces gars-là ! Christophe Breschi

 

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